Title | : | La Langue des medias : Destruction du langage et fabrication du consentement (French Edition) |
Author | : | |
Rating | : | |
ISBN | : | - |
Language | : | French |
Format Type | : | Kindle Edition |
Number of Pages | : | 281 |
Publication | : | Published March 16, 2016 |
En analysant de très nombreux exemples récents, ce livre montre que les journalistes ne cessent de reproduire des tournures de phrases et des termes qui impliquent en fait un jugement éthique sur les événements. Prenant pour des données objectives des opinions qui sont en fait identifiables à des courants de pensée, ils contribuent à répandre nombre de préjugés qui sont au fondement des croyances de notre société.
Si le langage du Journaliste fonctionne comme une vitre déformante à travers laquelle on nous montre le présent, il est aussi une fenêtre trompeuse ouverte sur le passé et sur l’avenir. Analyser le discours du Journaliste, c’est donc d’une certaine manière mettre au jour l’inconscient de notre société dans tout ce qu’il comporte d’irrationnel.
Ce livre souhaite donc être un manuel de réception intelligente de l’information à l’usage des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs quotidiennement exposés aux médias d’information. Son ambition est de lutter à la fois contre la naïveté et la paranoïa complotiste pour n’être plus « orientés par un discours orientant ».
La Langue des medias : Destruction du langage et fabrication du consentement (French Edition) Reviews
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This book deals with techniques used by large numbers of journalists to enforce consent and do away with unwelcome questions and points of view.
Ingrid Riocreux, working with l'Université Paris IV, intends to decypher the decypherers' discourse, that is, the journalists'. Doing so, she puts to the fore workings shared with both
Public Opinion and
1984 : what is salient is how every thought, stance and idea are sheared bare of any singularity or specifics. How every dissent is duly twisted and derided and called names the very moment it is voiced. How normative and injunctive the media is.
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"Le degré zéro de l'information est un pur fantasme : ce serait un discours surgi de nulle part et ne s'adressant à personne."
-p.319
LE SUJET :
Ingrid Riocreux, chercheur associé à l'Université Paris IV, se donne pour but de "décrypter" le discours des journalistes et autres décrypteurs. Elle en souligne les ressorts habituels : l'identification profonde des journalistes à la doxa, les arcanes du parler journalistique, le discrédit jeté systématiquement sur les opinions qui en diffèrent et sur les personnes assez "sulfureuses" pour les soutenir.
I - L'INDIGENCE DE LA PENSÉE MÉDIATIQUE :
Ingrid Riocreux souligne d'abord l'appauvrissement du champ lexical, le nivellement de la pensée par le bas. Lorsque l'auteur aborde le statut de la CSA et l'accomplissement tout relatif de sa mission défense de la langue française, elle analyse l'anglicisme comme un procédé courant de simplification de la pensée, de destruction de ses nuances les plus fines.
Ce traitement vétilleux va jusqu'à analyser la fabrication du consentement jusqu'à l'échelle syntaxique et étymologique, au point d'en être par places plus narratif et prescriptif, fait de répétitions superflues d'exemples facilement observables. Mais il a le mérite d'apporter un certain volume d'exemples qui démontre l'ampleur de cet escamotage.
"comment en finir avec le verbe liker associé au pouce levé de Facebook. Peut-on vraiment se contenter d'« aimer » ? Ne faut-il pas chercher du côté de « recommander », suggère-t-on ? Quant à l'expression, faire du Untel bashing, il semblerait qu'en dépit de sa lourdeur et de sa laideur, elle ne soit sur le point de céder la place à l'une des options plus courtes et élégantes proposées par notre langue : critiquer, dénigrer, discréditer, décrier, éreinter, attaquer, charger, vilipender, désapprouver, etc. Autant de nuances qui disparaissent dans l'expression anglaise, sans qu'il faille en déduire que cela traduit un défaut de la langue de Shakespeare, puisque to bash a de nombreux synonymes et parasynonymes (c'est-à-dire des mots de sens proche) : to run down, to berate, to criticize, to decry, to attack, to strike, etc" - pp.26-27
Mais l'anglicisme n'est en rien le seul, ni même le principal de ces procédés de "réduction".
Quand ce ne sont pas des anglicismes, ce sont des mots mal câblés qui assurent cette fonction :
Exemple : homophobie : peur du même (?)
climatosceptique : personne qui doute du climat, du temps qu'il fait (?)
On voit bien qu'au-delà du français, c'est la qualité du discours qui est engagée.
Par sa diffusion, "Je suis Charlie" constitue l'exemple-type de ces slogans fourre-tout. Suffisamment vague pour être compris de mille façons, souvent contradictoires, c'est le mot d'ordre que l'auteur appelle avec aplomb l'obligation de "schtroumpfer".
"Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non !"
"Quatrepattes, bon ! Deuxpattes, mieux !"
- La ferme des Animaux, G. Orwell
"La première de toutes les conditions nécessaires pour n'importe quelle propagande en général [est] la position systématiquement unilatérale à l'égard de toutes question traitée." - p.55, citant Mein Kampf.
II - LES JOURNALISTES, NOUVELLE POLICE DE LA PENSÉE :
Les journalistes sont associés à l'actualité, qu'ils présentent comme objective et indiscutable :
"On retrouve ici l'hypocrisie que nous dénoncions en introduction et qui repose sur l'illusion, complaisamment entretenue, que le Journaliste n'est que le témoin de l'actualité, qu'il se contente de dire ce qui est. (...) des centaines de milliers de gens arrivent en Europe. Les désigner comme des réfugiés illégaux, des migrants, des envahisseurs, etc., ce n'est pas l'actualité qui le « dicte ». Désigner comme des gens d'extrême droite ou « hostiles à l'accueil des migrants » ceux qui estiment, quant à eux, opposer une résistance à une invasion migratoire, ce n'est pas non plus «l'actualité qui le dicte »." - p.283
et
"Décrypter suppose de faire preuve d'esprit critique. Critiquer, étymologiquement, c'est distinguer, faire le départ entre ce qui résiste à l'objection et ce qu'elle renverse, entre ce qui tient et ce qui ne tient pas. L'esprit critique doit faire feu de tout bois. Par essence, il ne saurait être sélectif. Quand Najat Vallaud Belkacem, emboîtant le pas à tant d'autres, exprime le souhait que les enfants soient formés à exercer leur esprit critique vis-à-vis du fait religieux au nom des valeurs de la République, elle fait preuve d'un esprit critique sélectif. Aucune voix ne s'élève pour dire ce qui me semble être l'évidence dans un régime qui se veut le contraire de la dictature, à savoir que les valeurs de la République doivent aussi passer sous les fourches caudines de l'esprit critique - à commencer par la notion même de « valeurs de la République », on ne peut plus étrange, oserai-je dire trompeuse : au nom de quel prétexte devrait-on sacraliser le système de pensée qui se trouve être dominant dans l'élite sociale, le corpus dogmatique d'un instant, au point de le soustraire à l'examen de la raison ? De même, il est des décryptages que le Journaliste ne fera jamais. Ainsi, il ne décryptera jamais son propre discours." - p.309
Ce faisant, Ingrid Riocreux souligne l'existence de la double pensée en toute innocence chez le journaliste, de la capacité latente à tout justifier sous des mots doux. Exemple : GPA (gestation pour autrui), post-partum abortion (pour avortement post-natal),...
Lors des débats et des interviews, sous couvert de présentation, le journaliste, inquisiteur moderne, vérifie l'adhésion au dogme de l'ordre social et traque la non-conformité, qu'il punit de dénominations ou épithètes mortels :
"L'impact de la connotation affecte également l'emploi des affixes (préfixes et suffixes). Ainsi, l'antiaméricanisme n'est pas américanophobie. Le premier est une posture positive, dont on peut se revendiquer et être fier. La seconde est un défaut, voire une insulte. Le suffixe - phobie était, à l'origine, réservé aux pathologies psychiatriques : arachnophobie, nyctophobie, claustrophobie, etc. Il est devenu un moyen commode de discréditer un adversaire. Tout comme « fasciste » et « raciste » qui ont presque totalement perdu leur définition originelle, les -phobies actuelles sont des insultes, des outils à slogans, des charges gratuites qui permettent de transformer l'adversaire idéologique en ennemi tout en s'épargnant la peine de l'argumentation."
"De même, les termes "xénophobie" et "homophobie", largement employés par le grand public et la presse, mais également par les gouvernements, les organisations et institutions internationales, n'échappent pas à la critique de l'assimilation à la maladie mentale, de par leur construction sur le suffixe "phobie". D'un point de vue terminologique, aucune de ces expressions n'est exempte de griefs. Finalement, c'est moins la parfaite exactitude de la sémantique de notions aux contours souvent difficiles à délimiter, que leur large appropriation et leur force expressive qui devraient plaider en faveur de leur emploi." - p.144 et p.150.
Enfin, en bons gardiens de l'ordre établi, les médias doivent être capables de "rectifier" rétroactivement une ancienne publication : par exemple, l'article "Réfugiés : le fantasme de l'infiltration terroriste" de Géraldine Hallot, paru sur le site de France Inter le 14 septembre 2015, modifié le 15 novembre 2015 en "Des terroristes parmi les migrants ?", et cette fois sans mention du nom de la journaliste.
III - INÉGALITÉ DE TRAITEMENT DES SUJETS, GAUCHISSEMENT DES PERSPECTIVES :
L'auteur donne l'exemple des Femen, qui occupent la scène médiatique grâce à leur seul sens de la mise en scène. Il est aussi question de la place occupée par les "débats", ces émissions qui suivent une émission pour en discuter.
IV - RAPPROCHEMENTS :
L'art du roman
La Ferme des animaux
Public Opinion
Les conférences gesticulées de Franck Lepage :
https://www.youtube.com/watch?v=igwdC... -
Ingrid Riocreux explique dans son ouvrage comment certains journalistes et médias orientent leurs discours par négligence, inculture ou mauvaise intention. Elle appelle ces journalistes « le Journaliste », « un être idéel (…) un archétype ».
En lisant ses analyses d'articles, de séquences audio ou vidéo, je la sens compétente. Elle montre bien qu'il y a plusieurs façons de rapporter un évènement et que certaines sont porteuses d'un jugement qu'on n'attendrait pas d'un journaliste. Elle nous livre des clefs pour être plus attentif aux tournures de phrases, au choix des mots.
Cependant, dans sa lutte contre la bien-pensance, le politiquement correct, le novlangue, Ingrid Riocreux attaque parfois moins la forme du discours du journaliste que le fond. Elle prend souvent partie tout en s'équipant la plupart du temps des pincettes que sont les modalités et le subjonctif. La quatrième de couverture ne présente donc qu'une partie du livre.