Title | : | Sans transition: Une nouvelle histoire de l'énergie |
Author | : | |
Rating | : | |
ISBN | : | 2021538567 |
ISBN-10 | : | 9782021538564 |
Language | : | French |
Format Type | : | Kindle Edition |
Number of Pages | : | 391 |
Publication | : | Published January 12, 2024 |
Jean-Baptiste Fressoz est un historien des sciences, des techniques et de l’environnement. Après avoir été maître de conférence à l’Imperial College de Londres, il est maintenant chercheur au CNRS, enseignant à l’EHESS et à l’École des ponts et chaussées. Il a déjà publié au Seuil L’Apocalypse joyeuse, Les Révoltes du ciel (avec Fabien Locher), et L’Événement anthropocène (avec Christophe Bonneuil).
Sans transition: Une nouvelle histoire de l'énergie Reviews
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Je poursuis ma lecture des ouvrages de Jean-Baptiste Fressoz avec celui par lequel je l’ai découvert : Sans transition. Dans ce livre publié en janvier 2024 dans la collection Écocène chez Seuil, l’historien des sciences, des techniques et de l’environnement propose, comme l’indique le sous-titre, une nouvelle histoire de l’énergie et met notamment en lumière l’étrangeté et la fausseté historique de la notion de transition énergétique.
Voici une histoire radicalement nouvelle de l’énergie qui montre l’étrangeté fondamentale de la notion de transition. Elle explique comment matières et énergies sont reliées entre elles, croissent ensemble, s’accumulent et s’empilent les unes sur les autres.
Pourquoi la notion de transition énergétique s’est-elle alors imposée ? Comment ce futur sans passé est-il devenu, à partir des années 1970, celui des gouvernements, des entreprises et des experts, bref, le futur des gens raisonnables ?
L’enjeu est fondamental car les liens entre énergies expliquent à la fois leur permanence sur le très long terme, ainsi que les obstacles titanesques qui se dressent sur le chemin de la décarbonation.
Je pourrais dire qu’avec ce livre Jean-Baptiste défend une histoire matérialiste au sens le plus fort du terme : au-delà de l’aspect énergétique, il s’intéresse à l’histoire des matières, de leur extraction, de leur production, de leur transformation, de leur consommation. Il fait l’histoire des moyens matériels de production, au-delà des découpages classiques entre énergies dites dominantes à chaque époque.
Comme pour l’ouvrage précédent de Jean-Baptiste Fressoz, je vais avoir du mal à le résumer ici, je vous propose donc quelques citations qui me semblent bien illustrer le propos du livre.
Un extrait de l’introduction, qui éclaire parfaitement le projet du livre :
Ce livre raconte une nouvelle histoire de l’énergie permettant de comprendre l’étrangeté radicale de la notion de transition. Au lieu de présenter la succession des systèmes énergétiques au cours du temps, il explique pourquoi elles se sont accumulées sans se remplacer. Au lieu de considérer les énergies comme des entités séparées et en compétition, il dévoile l’histoire de leurs intrications et de leur interdépendance. L’enjeu est immense car ces relations symbiotiques expliquent la permanence des énergies primaires jusqu’à nos jours et constituent des obstacles majeurs sur le chemin de la décarbonation.
Ce livre propose aussi la première histoire de la « transition énergétique ». Non pas en tant que phénomène historique et matériel, mais en tant que futurologie, projet technologique et manière de comprendre les dynamiques de changement. Il explique pourquoi des raisonnements phasistes ont été appliqués à un domaine, l’énergie et le monde matériel, qui ne s’y prêtait absolument pas. Il raconte la carrière étrange de la transition, une futurologie hétérodoxe et mercantile – un simple slogan industriel – qui est revenue, à partir des années 1970, le futur des experts, des gouvernements et des entreprises, y compris celles qui n’avaient pas d’intérêt à ce qu’elle advienne.
Il explique pourquoi la transition énergétique nous empêche de penser convenablement le défi climatique. Depuis un demi-siècle qu’on l’invoque, cette notion a produit plus de confusion scientifique et de procrastination politique qu’autre chose. La transition projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique.
La transition énergétique parvient à faire passer pour anodin un futur radicalement étrange. Or, c’est de l’histoire, d’une histoire fausse, qu’elle tire sa force de conviction et son apparence de plausibilité. Comme en écho aux transitions du passé – du bois au charbon, puis du charbon au pétrole – il nous faudrait maintenant, face au réchauffement, en accomplir une troisième vers le nucléaire et les renouvelables. La crise climatique commanderait de poursuivre l’histoire du capitalisme et de l’innovation, de l’accélérer même, pour hâter l’avènement d’une économie libérée du carbone. Grâce à la transition, le changement climatique appelle à un changement de technologie et non de civilisation. L’histoire de l’énergie, ses routines technologiques, ses récits phasistes du passé – âge du bois, âge du charbon, âge du pétrole, économie organique et minérale, première et seconde révolution industrielle – ont joué un rôle idéologique discret mais central dans la construction de ce futur réconfortant.
Face à la crise climatique on ne peut plus se satisfaire d’une histoire en relatif : une « transition » vers les renouvelables qui verrait les fossiles diminuer en part relative mais stagner en tonnes ne résoudrait rien à l’affaire. On ne peut plus se satisfaire du flou de la transition et de ses épithètes innombrables, ni des analogies trompeuses entre les pseudo-transitions du passé et. Elle qu’il faudrait de nos jours accomplir. L’impératif climatique ne commande pas une nouvelle transition énergétique, mais oblige à opérer, volontairement, une énorme auto-amputation énergétique : se défaire en quatre décennies de la part de l’énergie mondiale – plus des trois quarts – issue des fossiles. Penser que l’on puisse tirer de l’histoire quelques analogies utiles sous-estime de manière dramatique l’énormité du défi climatique.
Sur la dématérialisation :
Jusque dans les années 1970, la consommation matérielle fut un important motif de réclame. C’est d’elle que découlait la qualité du produit et la satisfaction des clients. La conséquence est paradoxale : l’émergence de l’écologie politique, la démonétisation du sublime technologique et la montée du scrupule environnemental ont joué un rôle négatif dans la compréhension matérielle de la production. Les industriels se mirent à parler de protection environnementale, tout en jetant un voile pudique sur les mines et les plantations. L’empreinte matérielle disparut des publicités pour réapparaître dans les bilans RSE des entreprises et la littérature environnementaliste, dont l’impact était évidemment sans commune mesure avec la puissance de la publicité. La « dématérialisation » était en marche, du moins dans les esprits.
Sur la notion de transition énergétique :
Il faut s’y résoudre : il n’y a jamais eu de transition énergétique hors du bois. Ni au XIXe, ni XXe siècle, ni dans les pays pauvres, ni dans les pays riches. Le triplement du bois énergie dans les pays riches au XXe siècle, l’explosion du charbon de bois en Afrique depuis 1960, la multiplication par trois du charbon dans le monde depuis 1980, le pétrole qui continue bon an mal an de croître malgré ou grâce aux chocs pétroliers qui se répètent – et le fait crucial que tous ces phénomènes sont liés – tout cela aurait dû nous conduire, depuis longtemps, à abandonner la « transition énergétique » en tant qu’outil analytique, ou bien à l’utiliser avec beaucoup de précautions comme une notion purement normative, voire franchement utopique.
Arrivé aux deux tiers de cet ouvrage, une question reste donc en suspens : comment la vision phasiste de l’histoire de l’énergie a-t-elle pu perdurer ? Comment la transition a-t-elle pu s’imposer à la fin du XXe siècle, alors que toute la dynamique énergétique de l’époque la contredisait ? Comment cette notion est-elle devenue, à partir des années 1970, un futur normal et consensuel, celui des gouvernements, des entreprises et des experts qui prétendent nous guider vers un monde sans carbone ?
Sur le choix de la procrastination sous couvert de « transition » :
Sans le dire, sans en débattre, dans les années 1980-1990, les pays industriels et ceux qui allaient le devenir ou choisi – si ce mot a un sens – la croissance et le réchauffement et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes.
La perception d’un fatum économique et climatique présida à la relance charbonnière, au contre-choc pétrolier, à la sur-urbanisation, au consumérisme dans les pays riches et à l’électrification du monde pauvre. Cette dynamique de croissance était plus puissante que n’importe quelle alerte climatique, aussi claire et tonitruante qu’elle puisse être. La transition n’est évidemment pas la cause de la résignation climatique, elle n’en est que sa justification. Dans les années 1990, elle a accompagné la procrastination générale, et elle continue à le faire.
Et pour finir, en guise de conclusion :
Cet essai d’histoire matérialiste n’offre aucune martingale, aucun programme de « transition réelle », aucune utopie verte et émancipatrice. Il montre en revanche le danger de faire reposer nos visions du futur sur de la mauvaise histoire et la nécessité, pour espérer construire, un jour, une politique climatique un tant soit peu rigoureuse, d’avoir une compréhension nouvelle des dynamiques énergétiques et matérielles. Une fois encore, le but n’est pas de critiquer les renouvelables ou même de montrer que la transition était impossible. J’ai simplement voulu comprendre d’où provenait ce futur étrange et étrangement consensuel. Née avec « l’âge aromatique », envisagée comme réponse lointaine des pays riches à l’épuisement des énergies fossiles, la transition a été reprise, sans justification sérieuse, pour penser le défi climatique.
La transition est l’idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se retrouve du bon côté de la lutte climatique. Grâce à la transition, on parle de trajectoires à 2100, de voitures électriques et d’avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition. Des solutions très complexes dans le futur empêchent de faire des choses simples maintenant. La puissance de séduction de la transition est immense : nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente. L’histoire de la transition et le sentiment troublant de déjà-vu qu’elle engendre doivent nous mettre en garde : il ne faudrait pas que les promesses technologiques d’abondance matérielle sans carbone se répètent encore et encore, et que, après avoir franchi le cap des 2°C dans la seconde moitié de ce siècle, elles nous accompagnent tout aussi sûrement vers des périls plus importants. -
Lu dans le cadre d'un arpentage. Une démonstration en bonne et due forme sur les différentes "transitions" énergétiques qui n'ont été au final qu'un empilement effréné de ces énergies. Efficace et nécessaire, en particulier dans la période actuelle.
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ouvrage passionnant sur l'origine du terme de "transition énergétique", fondé sur une lecture très courante (mais fausse) de l'histoire des sources d'énergie et leur prétendue "transition" (du bois au charbon, ou du charbon au pétrole, ou des fossiles aux renouvelables ou au nucléaire) alors que... l'humanité ne fait que consommer davantage de tout à la fois !
Si mal nommer les choses c'est ajouter du malheur au monde, c'est assurément ce que le terme de transition (employé à tort et à travers par des pétroliers comme par des partisans du nucléaire ou des hommes politiques) a contribué à faire en permettant une certaine procrastination.
Ce livre de Fressoz permet d'éclairer tout cela un peu mieux et c'est très salutaire. -
j’ai clairement pas tout compris mais livre mega intéressant
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Très instructif.